Des cases aux buildings


Autres articles
Mike Oldfield
Charly
Négresses vertes
Météo marine
Casa Miguel
Bogota
Cimetière
Vers l'Australie
France-Prague I
France-Prague II
Intéressement
Tourisme
Twingo
Plan
Export

Quarante élèves de Hnaizianu, collège de l'Alliance Scolaire de Nouvelle-Calédonie ont réalisé un rêve : partir de Lifou pour l'Australie. Ou comment quitter sa tribu pour rejoindre un monde anglo-saxon historiquement très lié à son île natale.

ritannia : voilà la réponse que donnaient les protestants de Lifou à ceux qui s'enquéraient de leur religion. Aujourd'hui. les traces de l'évangélisation menée par les pasteurs de la London Missionary School sont toujours présentes. D'autant plus persistantes qu'inconsciemment elles rappellent aux autorités françaises, les heurts sanglants qui marquèrent la prise de possession officielle de l'île. Le 18 juin 1864, dans la tribu de Xepenehe, alors que les fidèles célébraient le culte, les troupes de l'Amiral Durand firent irruption et tuèrent de nombreux paroissiens. Le pasteur Mc Farlane avait eu le tort de mettre en place une police indigène chargée de veiller aux bonnes moeurs de la communauté. Comment le gouverneur français de l'époque pouvait-il supporter que des "naturels" puissent eux-mêmes se faire justice ! Qui plus est dirigés par un missionnaire écossais qui ne cachait pas son aversion pour les autorités de Nouméa.

Itchaouziz!

Si aujourd'hui, plus aucun vieux ne parle l'anglais, il reste le thé, le cricket, l'amour du gazon bien tondu et les mots. Plus d'une centaine que l'on retrouve épars dans la langue de Lifou, Le dikona (deacon) sonne la cloche, on mange du falawa (flour) et du laahis (rice) sans oublier de mettre ses plus beaux itchahouziz (trousers) le dimanche. A Xepenehe, le clan des propriétaires terriens donna deux terrains aux missionnaires. Bethania qui allait devenir l'école pastorale d'où sortent la plupart des actuels pasteurs kanak. Et Hnaizianu (littéralement "Là où pousse le jeune cocotier") où s'élève une école qui aujourd'hui scolarise plus de deux cents enfants. Dans ces lieux, nombreux furent les envoyés de la Cevaa qui vinrent oeuvrer pour la communauté protestante de Lifou.

Un projet ambitieux

Collège de l'Alliance Scolaire de l'Eglise Evangélique (ASEE), Hnaizianu dispose d'un réfectoire financé par le Fonds Européen de Développement. Et depuis que l'ASEE a signé un contrat d'association avec l'Etat, le budget de fonctionnement est confortable. Malgré cette situation loin d'être misérable, les locaux restent modestes, les sanitaires insuffisants. De nombreux cours sont suivis dans des classes-cases faites de paille et de tôles. Outre un enseignement sans cesse adapté -le français reste une longue seconde à Lifou, la direction lance des projets éducatifs chaque année, aidée en cela par une équipe pédagogique motivée. En 1996, l'ambition était grande. Quarante enfants devaient visiter des collégiens de Brisbane avec lesquels ils correspondaient depuis une année. Comment ? Quand ? Avec quel argent ? Le passé et le présent allaient nous aider.

La bonne étoile

Les premiers blancs qui débarquèrent à Lifou étaient australiens. Venus chasser la baleine ou chercher le santal pour le revendre en Chine. Certains de ces aventuriers s'installèrent et se marièrent. En témoignent les noms de certaines familles de Lifou (Wright, John, Forest, Reid) ou la blondeur des filles du petit chef de Xepenehe. Depuis deux ans, les Australiens étaient revenus, toujours par la mer et, pour cause de soleil brûlant, toujours aussi rouges (Le mot Kamadja (rouge) en Lifou désignent les Européens). Presque chaque semaine. sur les plages de la tribu de Easho, le bateau de croisière Fairstar déverse un millier de touristes. Les vacanciers plongent dans une eau transparente, s'extasient devant les coraux multicolores du lagon et s'alanguissent à l'ombre des cocotiers. Et tout cela à quelques centaines de mètres de Hnaizianu. Le paquebot revenant à Sydney, le moyen de transport idéal était trouvé ! Une lettre toucha les responsables de la société P & 0 qui nous offrirent une croisière de six jours pour quarante élèves et cinq accompagnateurs ! En échange de ce cadeau inestimable, nos collégiens devaient présenter un spectacle de chants et de danses traditionnels.

Une activité frénétique

Quand la bonne nouvelle fut connue, il nous restait six mois pour monter le spectacle, trouver les fonds nécessaires pour le retour par avion, les frais d'assurance, les transports sur place et la foule des dépenses mineures qui allait devenir un problème majeur. L'activité des parents d'élèves, du personnel du collège et de l'internat fut frénétique. Des centaines de gâteaux furent vendus, des dizaines d'hectares débroussés, une kermesse et un bingo organisés où l'on convia le consul australien qui nous soutint énergiquement. Le spectacle mobilisa tout le collège : les petits tressaient les costumes des grands. Les répétitions se succédèrent à un rythme soutenu. Guidés par Tim, un des grands danseurs de Lifou, les enfants mirent au point une chorégraphie inoubliable. Didier Lenglare, professeur franco-canadien partit en Australie un mois avant notre arrivée pour rencontrer nos hôtes. Comme l'Emmanuel Collège de Brisbane ne pouvait accueillir tous nos enfants, une vingtaine d'entre eux devaient rester à Sydney. Là, nous fîmes appel aux Églises protestantes d'Australie. La World Mission, via le révérend Bubsy Arulampalam et Peter Mc Burney nous reçut et sollicita ses fidèles pour nous loger.

L'enracinement et l'ouverture

Le 26 octobre, après les gestes coutumiers (échange de billets et de manous), ce fut le départ. Ainsi, nos enfants refirent le trajet de leurs ancêtres qui s'embarquaient sur les navires australiens pour aller travailler dans les plantations du Queensland. Durant la traversée, le spectacle enchanta les passagers. Les enfants découvrirent le Vanuatu visitèrent le parlement de Canberra et vécurent quinze jours dans des foyers australiens. Ils furent invités par les paroisses coréennes et le consulat canadien. Ils charmèrent de leurs chants les ouvriers d'une usine visitée et réchauffèrent le coeur des Aborigènes de Redfern, banlieue de Sydney ravagée par l'alcool et la déshérence. Ils purent approcher ce monde occidental que seule la télévision leur donnait à voir. Ils virent des clochards qui mendiaient près des fast-foods. Cela les choqua. A Lifou l'exclusion ne concerne pas les faibles. Pour beaucoup, ce fut le premier grand voyage. Deux d'entre eux n'avaient jamais marché dans une ville. Tous revinrent transformés. Mieux me connaître pour aller vers ce monde qui m'entoure. Être curieux de l'Autre. Nos objectifs étaient ceux que M. Billy Wapotro, président de l'ASEE avait définis dans une assemblée générale. Nous les avions atteints. Riches et fiers de leur culture, les enfants kanak pourront affronter la modernité. A tous moments, il leur faudra marier l'enracinement et l'ouverture.

Article publié dans le mensuel Mission n°74 (Juin 1997)