La fiancée de Neptune

Découverte d'une voix enchanteresse qui, tous les soirs, berce en les emportant sur les flots ces enfants à l'oreille tendue que sont restés les auditeurs de France Inter.

ingt heures. Horaire immuable où les auditeurs de France Inter deviennent aphasiques. Victimes de ce que les neurologues appellent la surdité verbale. Les sons du langage leur parviennent, ils les entendent mais ne les comprennent pas. C'est l'heure de la météo marine. "Une dépression 1 000 hectopascals au nord de l'Ecosse se décalant vers la Norvège, en se creusant, suit un avis de grand frais d'Ouest à Nord-ouest imminent pour Viking, Forties et Cromarty." Derrière ces messages sibyllins se profile une présence féminine qui, tous les jours de la semaine, nous plonge dans un univers où règne le plus délicieux des ésotérismes. Marie-Pierre Planchon présente ce bulletin météo assez particulier depuis cinq années. Un peu esseulée sur le plateau de Pollen, avant que n'y pénètrent Jean-louis Foulquier et ses invités, elle nous conte, à une cadence rapide, un nouvel épisode de cette saga marine. Aujourd 'hui encore, vont souffler les terribles "vents d'Ouest à Nord-ouest qui s'égarent, 5 à 7 mollissant, du côté de Forth, Tyne et Dogger."Le bulletin du temps qu'il fait se termine invariablement par un clin d'oeil au temps qui passe: "Il est vingt heures et trois minutes, vous êtes bien à l'écoute de France Inter". Jingle.

Tremplin

Un camaïeu azuré sort de l'aquarium. Le bleu submerge Marie-Pierre Planchon, se décline en écharpe, pull, bracelet et paire d'yeux magnifiques. Mais celle qui se dit passionnée par son métier, ne charme pas uniquement par son goût consommé du chromatisme, son personnage tout entier, se révèle être en nuances. Oui, deux à trois minutes à réciter un bulletin obscur -pour le plus grand nombre- ne peut entièrement satisfaire une aussi forte personnalité. Oui, la frustration peut quelquefois l'emporter sur la "conscience professionnelle". Oui, mais ce rendez-vous quotidien permet aussi à cette ancienne étudiante en cinéma de Censier de maintenir un contact permanent avec la Maison de la Radio. Jour après jour, cette voix cristalline s'est gravée, indélébile, sur le tympan des auditeurs. Depuis toujours, la météo marine sert de tremplin aux valeurs montantes de la radio. Anne-Sylvie Paulat, Annette Pavy ou bien encore Françoise Morasso. Cette dernière qui. après avoir eu en charge des émissions importantes sur la radio du service public (L'oreille en coin notamment) vient, cette année, de passer à l'ennemi : Europe 1.

Factotum

Le lien qu'entretient Marie-Pierre Planchon avec la radio remonte au plus jeune âge. Née en 1961, enfant de Picardie, Marie-Pierre s'imprègne très tôt du média hertzien : "France Inter était une institution familiale" . Elle débute en 1982 sur Radio Côte Picarde où elle anime une chronique cinéma. Avant de rejoindre la Capitale, Marie-Pierre fait escale à 120 kilomètres des côtes parisiennes, à Amiens. Là, elle officie en tant que journaliste sur la principale radio de la préfecture de la Somme. Elle apprend le métier : revue de presse, journal de la mi-journée, émission politique hebdomadaire. On la remarque. Jean Garetto, le prenier, la contacte et l'invite à participer à L'inconnu du 17 Express. Emission qui, sur France Inter, la fait se déplacer chaque jour dans une gare différente, à la recherche d'un quidam correspondant au portrait robot que s'amusent à dresser les auditeurs. Le paquebot échoué au 116 de l'avenue du Président Kléber, enfin, est abordé. Tel un moussaillon, Marie-Pierre sert de factotum à l'équipage de la Maison Ronde. Elle travaille successivement pour Françoise Morasso, Aline Pailler, Louis Bozan, prête sa voix à l'autopromotion de la radio, aux campagnes institutionnelles. Elle ne se lamente pas. Plongée dans son élément vital, elle propose quantité de projets. Eté 91, Eve Ruggieri, directrice des programmes, accepte son émission Suivez-moi du regard. Pendant vingt minutes, à l'aide des archives de l'INA et bénéficiant d'une liberté totale, elle évoque la vie d'une star du Grand écran.

Cap Finisterre

Quand l'émission s'arrête au bout de trois mois, elle abandonne les étoiles du cinéma pour celles de la mer qui, jalouses, se réapproprient l'exclusivité de la voix la plus suave de France Inter. 20H35. Mon entretien avec la sirène de France-Inter s'achève. Elle m'a laissé entre les mains le bulletin qu'elle venait de lire à l'antenne. Un fragment de poésie hermétique. J'attends d'être dans l'ascenceur. Les portes se referment. Seul, à haute voix, je déclame "Est de cap Finisterre: vent de secteur Sud, 4 à 5 fraîchissant 2 à 3. Mer agitée s'atténuant. Ouest de cap Finisterre: pluies. Vent de Nord-ouest 3 à 4 s'orientant Sud-ouest demain 4 à 6. Mer devenant agitée."